Les femmes qui lisent sont dangereuses

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D'abord il y a ses mains repliées sur elles-mêmes portant l'objet comme s'il était sacré. On sent le corps tout entier concentré, les muscles mais aussi l'intérieur, ce qu'il y a derrière la surface de la peau, ce qui se passe à l'intérieur de nous, ce qui ne concerne que nous, ce qui ne peut pas, ne veut pas forcément se dire.

Nous les femmes et eux les livres.

Car les livres ne sont pas des objets comme les autres pour les femmes ; depuis l'aube du christianisme jusqu'à aujourd'hui, entre nous et eux, circule un courant chaud, une affinité secrète, une relation étrange et singulière tissée d'interdits, d'appropriations, de réincorporations.

Car un texte, signé ou pas, constitue pour les femmes un puits de secrets, un vertige, une possibilité de voir le monde autrement, voire de le vivre autrement, peut donner l'élan de tout quitter, de s'envoler vers d'autres horizons en ayant conquis, par la lecture, les armes de la liberté.

Ce n'est sans doute pas un hasard qu'aux femmes le livre -le livre des livres- fut d'abord interdit. Il fut dans les mains du Christ, puis de tous les hommes qui l'accompagnent, puis de tous ceux qui fondent l'Église -innombrable cohorte des hommes qui, dans les tableaux flamands ou italiens, portent le livre-tabernacle, incarnation du miracle de la continuité du croire.

Du sacré donc point de femmes. Seuls les hommes ont le droit d'y toucher. Mais les peintres vont aussi se mettre à représenter ce que l'Église enseigne et qui par essence ne se voit pas. Pour orner les églises, pour répondre aux commandes des princes, des ecclésiastiques, pour nous faire croire que l'invisible existe et que ce qu'enseigne la doctrine de l'Église existe - la preuve, ils peuvent le peindre.

Et c'est là que la femme surgit, qu'elle obtient l'autorisation d'exister dans le cadre. La femme s'appelle bien sûr Marie, et lorsque l'ange vient lui annoncer la bonne nouvelle, Marie est en train de lire, Marie est dérangée, Marie est effrayée, Marie se rétracte, se replie mais pour autant ne perd pas ses esprits, car elle couvre de sa main ce livre qu'elle est en train de lire tout en introduisant son pouce à la page où elle a été interrompue. C'est dire que le livre l'emportait ailleurs, dans un ailleurs dont elle ne veut pas perdre le fil, même si ce que lui dit l'Ange crée le séisme : «Je te salue, tu es pleine de grâce, le Seigneur est avec toi, tu es bénie entre toutes les femmes. Sois sans crainte, Marie, car tu as trouvé grâce aux yeux de Dieu.»

Laure Adler - Stefan Bollman

Photo : Eve Arnold - Marilyn lit Ulysse
Musique : Alain Bashung
Pomme d'or, pêche de diamants... Toutes ces choses guidées par une étoile, première à éclairer la nuit.Venus.
Frisson matinal...
Pour lui aussi, je n'arrive pas à accepter l'idée qu'il soit définitivement parti.

2 murmures:

Marcus a dit…

Les femmes sont dangereuses, mais une vie d'homme sans de nombreux dangers…
Ma femme lit beaucoup. Je vais la regarder différemment.

Cathiminie a dit…

le célibat me redonne le goût de lire...des romans des essais...je voyage, oui, en attendant de le rejoindre pour d'autres voyages....

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